Edito de Mgr Jean-Paul James, archevêque de Bordeaux. Journal « Église catholique en Gironde » 12/2020

Deux amis se parlent dans la rue : « Je ne fêterai pas Noël, cette année », dit l’un. « Et pourquoi ? » lui demande l’autre. « Avec la crise, c’est indécent ! »
De mon côté, au contraire, en temps de crise, je suis encore plus désireux de célébrer Noël, la fête chrétienne de Noël. Pour cela, il y a besoin de s’extraire des caricatures de la fête. Je vous propose de regarder l’icône de la Nativité. Ce n’est pas la crèche habituelle. Justement, changeons un peu notre regard sur Noël, en accueillant la représentation de nos frères chrétiens d’Orient.

rublev_kremlin_annonciation_noel.jpgQuel est l’objet de la fête ? Une naissance inattendue ! Où est l’enfant ? Dans une grotte sombre, reposant dans une crèche qui ressemble à un tombeau, et emmailloté de langes qui ont tout d’un linceul !Le Nouveau-Né ne rejoint pas un monde de rêves et de contes de fées où tout baignerait dans le bonheur ! Les ténèbres l’entourent, la mort rôde ! La grotte sombre, ça parle en 2020 ! Violences, inégalités, incompétences, la crise en révèle des problèmes ! Un sentiment domine : l’impuissance ! Et avec elle, la résignation, le désespoir ou le fatalisme : c’est comme ça ! Or, survient l’inattendu ! Dieu se fait proche ! On appelle l’Enfant : Emmanuel, ce qui se traduit « Dieu avec nous » (Mt 1, 23).

Cet Enfant va connaître la mort et l’ensevelissement : Dieu, en s’incarnant, ne fait pas mine ! Il est solidaire jusqu’au bout, excepté le péché ! Voilà Quelqu’un qui fait ce qu’Il dit ! À Noël 2020, Il se fait proche ! Le rayon de soleil venant de Dieu et tombant sur le Nouveau-Né éclaire la noirceur de la grotte. Quels rayons de soleil dans notre vie bouleversée cette année ? Comment s’est manifesté notre Dieu si proche, l’Emmanuel ? Par une entraide plus grande à l’intérieur de la famille confinée ? Moins de déplacements et de fatigue ? La communion eucharistique vécue plus intensément après un long temps de privation ? Du temps pour méditer ou pour lire ? Un beau moment de prière familiale ? Un mode de vie plus sobre ? Un mail ou un tweet inattendu ? Tout cela peut sembler dérisoire, précaire, fragile et bien petit au regard des défis du monde. Mais l’Enfant-Dieu ne parait-t-il pas fragile lui aussi ? Fragile oui, mais capable de changer les cœurs ! Sauf les monstres, chacun est touché devant le sourire d’un enfant ! Et se déploient alors des trésors de tendresse. Voilà le choix de Dieu : Il ne choisit pas des moyens de puissance pour changer le monde. « Mais ce qu’il y a de faible, voilà ce que Dieu a choisi pour couvrir de confusion ce qui est fort »(1 Co 1, 27).

De qui Dieu avait-il besoin pour Noël ? Tout autour, dominaient César Auguste, Hérode et d’autres. Ils sont évoqués dans l’Evangile. Mais qui Dieu choisit-il pour accueillir son Fils ? Qui sont les deux premiers à entendre le grand projet de Dieu ? La Vierge Marie et Joseph. Quel message Dieu leur adresse-t-il ? Sois sans crainte ! Ne crains pas ! Autour de nous, dans les médias et réseaux sociaux, des messages entretiennent la peur et la méfiance. Les experts s’opposent sur le traitement de la pandémie et de la crise sociale. Un mot revient souvent : complotisme. Quelle chance à Noël 2020, de contempler Marie et Joseph. Déjà en leur temps, il y en a des propos contradictoires sur Dieu et il y en a des faux prophètes ! Marie et Joseph, eux, des gens simples, des croyants, savent discerner la Parole du Seigneur et ils font confiance. Cela ne se fait pas sans combats intérieurs. Regardons Joseph, au bas de l’icône à gauche : il est assis, le dos courbé, la tête appuyée sur une main, dans une attitude pensive. Un vieil homme est devant lui : il lui souffle tous les doutes et les questions. Les questions de la foi : tu crois à des choses pareilles ? Joseph a connu nos doutes sur les autres, nos peurs sur l’avenir. Quelle est sa réponse ? Lui, un homme juste, ajusté au Seigneur ne dit rien, il fait confiance et il agit. Il ne glose pas sur les hommes de pouvoir, il prend soin de la mère et l’enfant au moment du massacre des innocents. Il est à leurs côtés. Il revient à Nazareth et forme son Fils au métier de charpentier. Joseph ne rêve pas, il est engagé dans le réel, proche des siens. Témoignage pacifiant pour nous ! Encouragement pour nos fraternités chrétiennes de quartiers, de villages, pour prendre soin les uns des autres et tenir les relations amicales.

Et Notre-Dame ? Regardons-la dans l’icône. Elle y occupe une très grande place. Elle est allongée, comme une mère après l’accouchement. La scène est concrète. On représente, d’ailleurs en bas à droite, le premier bain de l’enfant. Mais revenons à Marie. Son attitude est étrange ! Elle détourne le regard de son fils et semble nous regarder. Pourquoi ? C’est simple ! Elle vit sa mission : elle ne garde pas son Fils pour elle, elle nous l’offre. Elle l’offre aux bergers et aux mages. Le plus beau des cadeaux !

Notre-Dame n’a pas le choix des invités, le jour de Noël et les jours suivants ! C’est Dieu qui les lui désigne ! Arrivent les bergers, des marginaux à la réputation douteuse, et plus tard ceux qui désirent tellement la santé, ou qui désirent être réintégrés dans la communauté des hommes, les malades, les infirmes, les étrangers. En rencontrant Jésus, voilà des hommes remis debout, qui, comme les bergers, chantent les merveilles de Dieu ! Puis arrivent les mages : des hommes qui ont les moyens de voyager et de faire des cadeaux de valeur ! Ils sont riches de savoir, de pouvoir ou d’avoir, ils ignorent l’Evangile ou le connaissent mal. Ils ont eux aussi besoin d’être éclairés, ils ont besoin d’un sens à leur vie : après le confinement, faut-il retrouver le même chemin de la consommation, de la vie stressante et continuer à abîmer la nature ? Après avoir adoré l’Enfant-Dieu, ils repartent par un autre chemin, une autre forme de vie. Marie garde tout cela dans son cœur.

Oui, dans cette crise, j’ai hâte de célébrer la fête chrétienne de Noël ! Car, de la crèche jaillit la Lumière et une créativité étonnante ! L’Enfant-Dieu réveille le meilleur de la personne humaine : la confiance, l’espérance, l’amour, la bienveillance, la douceur, la paix. À la crèche, s’inventent de nouveaux gestes de communion, de partage, de solidarité : Dieu a choisi le plus faible, le Nouveau-Né, pour révéler son visage. Il redonne sa dignité à toute personne. À la crèche, les santons sont vaccinés contre le virus du repli, de la violence ou du chacun pour soi. À la crèche se révèle l’urgence du service concret du frère quel qu’il soit. Bonne Nouvelle pour un monde en crise !

Bon Noël !

+ Jean-Paul James