Dimanche 29 janvier 2023 – Présidée par Mgr Jean-Marie LE VERT

 

Homélie de Mgr Le Vert.

4° DIMANCHE ORDINAIRE – ANNÉE A – ÉCOLE DE LA MISSION – 29.01.22

Frères et sœurs, l’évangile de ce dimanche nous présente le premier grand discours de Jésus au début de sa vie publique, ce qu’on appelle le Discours sur la Montagne. Et il commence par les Béatitudes. Ce qui est remarquable, c’est que ce premier discours du Christ prêche le bonheur. Je dis que c’est remarquable, car pour la majorité des hommes de notre temps, être chrétien se résume à une série d’obligations et de contraintes. Nous découvrons ici qu’il n’en est rien, et que la base de la Bonne Nouvelle de Jésus, de l’Alliance qu’il propose entre son Père et l’humanité, c’est l’invitation à être vraiment heureux.

Mais les voies que Jésus propose pour aller vers ce bonheur ne sont pas tout à fait semblables à celles que l’on a en tête habituellement. Ainsi, les pauvres dont parlent Jésus, ce n’est pas la pauvreté matérielle, qui restera toujours une misère. C’est la pauvreté du cœur, c’est le détachement à l’égard des richesses matérielles, c’est-à-dire ne pas en faire le centre et le sens de toute notre existence. Les doux, ce ne sont pas ceux qui se font écraser sans rien dire : ce sont ceux qui ont la bienveillance dans le cœur, c’est-à-dire ceux qui voient et privilégient d’abord le bien et cherchent à le mettre en eux et autour d’eux. Proclamer bienheureux ceux qui pleurent n’est pas non plus une consolation facile : c’est dire que Dieu est plus grand que nos limites et que ceux qui ne désespèrent pas devant l’apparente réussite des méchants et du mal, ne seront pas déçus. Quant à la faim et à la soif de justice, elles ne visent pas simplement la justice sociale sur terre ni même la justice divine dans le Jugement dernier, mais c’est la recherche de la sainteté et de la volonté de Dieu, le fait d’être ajusté à Dieu. Être miséricordieux, c’est reconnaître que le jugement n’appartient qu’à Dieu, que toute faute a ses circonstances atténuantes et qu’elle peut être pardonnée si le coupable en a le désir et veut changer. Et cela rejoint la pureté de cœur, c’est-à-dire l’amour de la vérité, avec des actes en concordance avec ce que l’on croit. Être artisan de paix, c’est d’abord se laisser transformer intérieurement par la paix du Christ afin de la rayonner par toute sa vie ; c’est ne pas répondre au mal par le mal, mais par l’amour, même envers nos ennemis…

En entendant proclamer ces Béatitudes, nous sommes partagés entre un grand sentiment d’admiration et d’espérance, et en même temps la crainte qu’inspire une telle invitation. Car nous mesurons bien l’écart qu’il y a entre cet appel et les comportements quotidiens, ordinaires, auxquels nous sommes habitués. Nous pouvons être saisis d’une sorte de vertige tellement nous avons conscience que l’attitude intérieure et la manière de vivre, auxquelles Jésus nous appelle, entrent en conflit avec les références habituelles de nos contemporains, avec les critères du bonheur tels que notre société l’envisage et tels que la publicité nous l’annonce ! Saint Paul le dit bien, d’ailleurs : « Ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour couvrir de confusion ce qui est fort ». Ce n’est pas selon les objectifs des Béatitudes que l’on habitue notre jeunesse à construire son existence. Ce ne sont pas ces modèles qu’on donne à admirer et à imiter à nos contemporains. On les fascine plutôt par les personnages qui mettent au-dessus de tout leur propre réussite. Qui aujourd’hui a envie d’être doux et miséricordieux, quand la justice est instrumentalisée par les médias en instrument de vengeance ? Qui a envie d’être pauvre de cœur, quand les fluctuations de la Bourse deviennent des baromètres plus importants que les événements les plus graves de notre existence ? Qui a faim et soif de la justice, quand la loi commune propose comme mode d’existence l’accaparement plutôt que le partage, l’individualisme et le corporatisme plutôt que le bien commun ? Qui veut être pur de cœur, artisan de paix, quand la dramatisation médiatique suppose au contraire d’exacerber les conflits et de dénoncer les faiblesses, de ne rechercher que la polémique et ce qui ne va pas ? Qui voudrait être persécuté pour la justice, quand on a déjà tant de mal à accepter de ne pas trahir la justice pour préserver ses biens ou en acquérir d’autres ? Qui acceptera d’être calomnié pour son attachement au Christ ? Il y a un tel écart entre ce que Dieu propose pour nous rendre heureux et ce que nous désirons naturellement ! Chacune de ces propositions évoque plus pour nous, par rapport à nos attentes spontanées, la souffrance et le malheur que le bonheur et la paix. Il n’est donc pas du tout certain que tous les chrétiens aient vraiment envie de trouver leur bonheur dans ce que proposent les Béatitudes…

Si bien que nous avons tendance à admirer ces « Béatitudes », mais en nous disant en même temps que, sans doute, nous ne sommes pas faits pour les mettre en œuvre. Et ce que je dis à l’instant des Béatitudes, combien de fois le disons-nous, non seulement des Béatitudes, mais de tout l’Evangile du Christ… Alors, faut-il considérer, comme certains l’ont fait dès le temps de l’Évangile et tout au long des siècles, que le message du Christ est une folie déraisonnable ? Faut-il considérer que l’Évangile est réservé à quelques personnes extraordinaires, mais qu’il n’est pas fait pour le commun des mortels, et que cela reste un bel idéal inatteignable ? Faut-il considérer que la bonne manière de vivre, c’est de faire comme tout le monde, en se réservant quelques instants de piété, mais sans trop exagérer ? Ou bien faut-il accepter avec saint Paul, que la véritable sagesse dont il nous parle dans l’épître aux Corinthiens, celle que Dieu donne à son Peuple, c’est précisément celle que le Christ exprime dans les Béatitudes ? Dieu a choisi ce qui est fou dans le monde pour confondre la sagesse des sages. Dieu choisit le chemin de l’humilité, du sacrifice et de l’offrande de soi pour réussir sa vie et parvenir au bonheur.

Oui, l’Évangile est une parole d’espérance pour l’humanité. Et voilà que nous sommes, nous chrétiens, chargés de l’annoncer à ceux qui nous entourent, pour qu’ils découvrent avec nous la vraie source du bonheur et qu’ils en vivent. Mais savoir pourquoi et comment nous pouvons faire une telle annonce, cela s’apprend. C’est ce que s’efforce de faire l’Ecole Diocésaine de la Mission. Elle apprend à évangéliser, à devenir des disciples-missionnaires. Cette Ecole a été voulue par le Synode de 2018, et après un arrêt brutal dû à la Covid-19, elle a enfin pu reprendre. Et voilà que, depuis un peu plus d’un mois, une bonne soixantaine de fidèles de votre doyenné du Sud-Gironde se sont régulièrement retrouvés à Verdelais pour comprendre ce qu’est l’évangélisation. Cela a été de magnifiques rencontres ! Ils ont ainsi pu mieux prendre conscience que chacun de nous, baptisés et disciples du Christ, nous avons reçu la belle et grave mission d’être missionnaires de l’Evangile autour de nous, là où nous vivons, avec nos talents et nos limites. Ils ont réfléchi à la manière concrète de le faire déjà dans leur propre paroisse, auprès des autres fidèles pratiquants. Ils ont mieux découvert que le fondement de l’évangélisation, c’est de commencer simplement par dire qu’ils ont rencontré Jésus, que cela change leur existence et que cela les rend heureux. Ils ont aussi compris que, même si la Mission de l’Eglise concerne chacun personnellement, elle concerne aussi nos communautés paroissiales, que nous avons à être missionnaires ensemble, que c’est toute la paroisse qui doit évangéliser pour continuer à être vivante et ne pas péricliter. Et par là-même, ils ont saisi l’importance de la fraternité au sein des communautés ecclésiales et la nécessité de se regrouper en Petites Fraternités Chrétiennes pour se soutenir dans l’évangélisation, comme nous y invitent fortement le Synode diocésain de 2018 et notre archevêque, Mgr James, dans sa lettre pastorale. C’est ce dont Mme Le Mesre vous a témoigné il y a instant, avec conviction et joie. Car oui, ces journées de l’EDM ont été belles, riches et enthousiasmantes pour nous tous !

A présent, ces 60 participants de l’EDM du Sud-Gironde vont aller à la rencontre des autres fidèles de leur secteur pastoral, à votre rencontre. Et vous allez être à votre tour invités à réfléchir avec eux à cette grande aventure de l’évangélisation, à l’annonce du vrai bonheur à ceux qui nous entourent. Car vous aussi y êtes appelés par le Christ lui-même, suivant la consigne qu’il nous a donnée à tous avant de rejoindre son Père : « Allez, de toutes les nations faites des disciples ». Vous aussi êtes appelés à connaître la joie d’être des disciples-missionnaires !

Chers frères et sœurs, que l’Esprit Saint nous aide à mettre en place dans nos vies l’évangile des Béatitudes, l’Evangile de l’Evangile, comme on l’a parfois appelé. Dans nos vies personnelles et dans la vie de nos communautés. Qu’il nous aide à en témoigner autour de nous, de le dire à ceux que nous connaissons et qui n’ont pas la chance de connaître le Christ. Les Béatitudes sont le vrai chemin du bonheur, le fondement d’un véritable comportement digne de l’homme. Le Christ a été celui qui a véritablement et parfaitement vécu les Béatitudes. Puissions-nous, en le recevant dans l’Eucharistie de ce dimanche, les vivre un peu mieux, concrètement, en nous rendant compte que Dieu ne veut rien d’autre que notre bonheur, mais un vrai bonheur et non pas sa caricature. Amen.