Eglise Notre Dame de Sauveterre de Guyenne :
les vicissitudes d’un clocher (1818-1938).
Il y a eu le clocher médiéval, puis la flèche en ardoise qui perdura jusqu’à l’incendie de 1837. Il y a eu le projet de dôme de Julien en 1839 puis le projet et la construction par Durand d’une flèche en pierre consolidée en 1862. Cette flèche, touchée par la foudre en 1887 fut étêtée pour raison de sécurité, puis démontée… Il y a eu alors le projet d’une charpente à huit pans de faible pente avec une toiture en zinc proposée par l’architecte Réolais Fauchez. Mais il faudra attendre 1933 pour voir un nouveau projet de flèche sur l’église Notre Dame : une flèche en béton réalisée par l’architecte Fauchez fils. Elle sera démontée en 1980, elle aussi, pour raison de sécurité.
Le clocher de ND dessinné par Léo Drouyn en juillet 1860, vu de la porte Saubotte.
D’après J-B Faivre, architecte des bâtiments de France in « L’Entre Deux Mers et son identité –Actes du 7ème colloque tenu à Sauveterre de Guyenne les 25 et 26 septembre 1999 – Editions de l’Entre Deux Mers » et « Léo Drouyn et l’Entre Deux Mers Oriental – Album de dessins – Volume 7 – Editions de l’Entre Deux Mers ».
L’église Notre-Dame est caractéristique d’une construction néogothique du XIXème siècle de par son clocher-tour en façade principale ; sa toiture en crois latine, la composition de ses percements et le détail de sa modénature. L’intérieur n’offre guère de surprises, on y trouve un espace voûté de pierre en croisées d’ogives et une nef centrale éclairée par des fenêtres haute qui contraste avec la pénombre du chœur.
A l’analyse du monument, certains éléments se distinguent. Le chevet présente du architecture de style gothique et sur un de ses contreforts, un cadran solaire, évoque le temps où chacun « avait midi à sa porte ». Sur le clocher, des enduits dégradés laissent apparaître des parements de pierres similaires aux portes de la bastide. Dans le porche, deux bénitiers rappellent le temps où le baptême donnait entrée dans le lieu saint. Ces observations induisent que l’unité de style perçue au premier regard n’est qu’apparente et que l’église est plus ancienne qu’elle n’y paraît. Qu’en est-il exactement, quelles interventions a subi l’édifice après l’Ancien Régime et que nous permet de comprendre la documentation consultée à ce sujet ?
- Au lendemain de la révolution
Le cadastre de 1829 permet de connaître la configuration de la ville au début du XIXème siècle. A cette époque, la halle est encore présente sur la place et par sa situation à l’angle de cette dernière, l’église est bien représentative des édifices religieux des bastides. Entourée sur 3 cotés d’un cimetière clos, sa façade à l’alignement participe à la rigueur de la composition urbaine. Le mur du cimetière est également à l’alignement rue Ste Catherine (actuelle rue du 8 mai 1945) et rue du cimetière (actuelle rue Saint Léger).
Le monument est composé d’un épais massif occidental ouvrant sur une nef unique large de 13 mètres, couverte de tuiles plates. Un arc triomphal sépare le couvrement en bois de la nef de celui de la voute de pierre du sanctuaire. Une chapelle funéraire, une sacristie, un dépôt et un escalier menant aux combles du chœur animent par leurs volumes la façade sud. Le clocher ouest, comprend deux niveaux supérieurs dont le dernier est percé de fenêtres hautes et couronné d’une « grande flèche couverte d’ardoises ». Un dessin de Sauveterre-de-Guyenne, publié en 1842 (Ducourneau), montre une petite toiture à forte pente dominant le vélum des toits de la ville et d’où émerge un petit clocher. Cette silhouette particulière, qui correspond à la couverture du chœur de l’église, perdurera de 1827 à 1855.
- Projet de restauration.
En 1817, la toiture de l’église nécessite de grosses réparations. La fabrique et le conseil municcipal estiment que la charpente de la nef oblige à un entretien trop important et qu’elle rend l’église « tellement froide en hiver qu’il est presque impossible d’y demeurer ». Ce constat sert de prétexte à leur volonté commune d’avoir une église neuve et voûtée et pierre, pour supprimer cet effet de « grange » aux dires de la fabrique, ou de « hangar » aux dires de la commune et éliminer ainsi de leur mémoire l’image de ce lieu sacré, souillé au moment de la Révolution par son utilisation en magasin de fourrage. Le 6 juillet 1818, un « devis estimatif des travaux à faire à l’église de Sauveterre » est établi conjojointement par trois entrepreneurs : Jacques Bouchon, maître maçon, Bernard Laroque, charpentier de haute futaie et Jean Constrein, serrurier. Il comprend la réparation de la couverture de la grande flèche du clocher, le reprise à neuf de la charpente de la nef, ainsi qu’une décoration intérieure formée par la construction de pilastres en pierre et un rehaussement des maçonneries avec « du bon moellon prit aux murs de la ville » provenant de la démolition des remparts. Cette surélévation est nécessaire à construction d’une voûte en plein cintre faite de briques de terre cuite fabriquées à la « tuilerie de Sauveterre ». Deux baies en vis-à-vis sont à ouvrir sur les murs gouttereaux. Enfin, pour affirmer le souhait d’une église en pierre, on prévoit de blanchir à la chaux la totalité des murs intérieurs et « on formera orisontalement les joints de pierre de taille, marqués avec du noir ». Ce projet n’est pas suivi d’effet, car bien que souhaité par la ville de Sauveterre, il n’obtient pas l’assentiment des trois autres communes de la paroisse, Le Puch, Saint-Romain-de-Vignague et Saint-Léger-de-Vignague, qui ont participer au financement des travaux.
- Premiers travaux.
L’idée d’une charpente neuve réapparait lors de la visite de l’architecte bordelais Poitevin en 1821. Celui-ci consigne ses observations dans les termes suivants : « la charpente de la nef ayant ses entraits et ses poinçons apparents a été tellement négligée que sa réparation est presque impossible. Je pense que le parti le plus convenable est de refaire à neuf ». Il constate une forte altération de la toiture en ardoise du clocher, ainsi que des murs extérieurs dégradés par les eaux du toit qui restent aux pieds des maçonneries. Le sol du cimetière est à cette époque plus haut que le carrelage intérieur de l’église. Enfin il indique que le « soubassement du clocher et les murs latéraux de la nef, s’élevant isolément à l’intérieur de l’Eglise, produisent un très mauvais effet… Je propose de les réunir par des arcades ».
Dans son projet, Poitevin ne retient pas l’idée envisagée en 1818 d’une voûte de brique soutenue par des arcs doubleaux en pierre car il considère, à juste titre, que « les murs existants n’auraient pas pu résister à la poussée ». Il propose donc de rehausser les murs de la nef jusqu’au niveau de celui du chœur pour permettre un plafond en lambris d’une hauteur suffisante.
Les travaux sont confiés au sieur Jean Lannes, de Castillon, adjudicataire le 15 juillet 1823 pour une somme de 9950 Francs et qui s’associe, pour l’occasion, à Jean Bonnefon, marchand à Sauveterre et Etienne Métivier couvreur à Libourne.
Le 15 avril 1824, alors que la toiture de la nef recouvre presque en totalité la nouvelle charpente, le maire de Sauveterre de Guyenne fait arrêter les travaux et ferme l’église pour cause de danger. Il se plaint que le mur nord « se dejettoit considérablement en dehors » ainsi qu’une partie « de celui du midi ». Dans un premier temps, le désordre est attribué à une maladresse des ouvriers qui auraient trop chargé ponctuellement la charpente, mais l’expertise qui s’en suit montre qu’à la demande de la commune le projet initial de Poitevin, jugé trop simple, a été modifié par l’entreprise au profit d’une charpente plus complexe ‘pour donner passage au cintre de la voûte à la Philibert de Lorne ».
Une « transaction » est finalement passée le 1er juin 1825 entre les quatre maires de la paroisse et Jean Bonnefon, caution du sieur Lannes, qui se substitue à ce dernier à partir de cette date. Il accepte de démonter les parties dangereuses et de reprendre les travaux en respectant les plans du premier projet Poitevin. Sous la surveillance des maires le chantier avance rapidement et en août 1825, la charpente est posée. Il se termine en 1826 par le blanchiment à la chaux de tout l’intérieur de l’église et fait l’objet d’un recolement en janvier 1827 par Martin « ingénieur au corps royal des ponts et chaussées ». Celui-ci alerte sur des détails d’exécution qui ne respectent pas le descriptif de l’architecte et fait des réserves sur la pérennité des poutres de charpente « employées aussitôt qu’elles ont été coupées, c’est-à-dire vertes et ressuant leurs eaux de végétation ». Ces observations inquiètent la commune qui retarde le solde des travaux jusqu’au 8 décembre 1837.
- L’incendie de 1827
Dans la nuit du 23 au 24 décembre 1827, la foudre tombe sur l’église. M.Rivière, maire, décrit le vécu des évènements : « Dans la nuit du dimanche au lundi, vers dix heures un quart, le feu du ciel est tombé sur la grande flèche du clocher… ce ne fut que vers une heure après minuit que le feu fut aperçu, après avoir fait de grands ravages intérieurement…les pièces de bois qui tombèrent en feu sur la charpente de la nef me décidèrent sur l’avis des charpentiers et hommes de l’art à faire ouvrir une brèche sur la charpente qui brulait déjà. Cette brèche promptement ouverte… et à la charpente et au lambris nous laissa l’espoir d’en conserver une grande partie…jusqu’au moment que le feu eut gagné la base de la flèche qui, entièrement consumée, tomba dans l’intérieur du clocher…le feu s’est concentré entre quatre murs et le porche, ou la petite voûte qui est à l’entrée s’est trouvé fortement chargée du poids des bois qui brûlaient encore… Vers trois heures on s’est vu maître du feu et ainsi hors de danger d’un plus grand embrasement. Dans cette périlleuse catastrophe, nos charpentiers et maçons ont réellement sous nos yeux plusieurs fois exposés leur vie. Leur intrépidité à fortement contribué à arrêter le progrès de l’incendie au milieu duquel notre cloche s’est fondue ».
Le sinistre passé, la première urgence de la commune consiste à commander une nouvelle cloche, avant même que les subventions soient accordées. Il est vrai qu’à cette époque la cloche est le seul moyen rapide d’information de masse en cas de danger, guerre, ou…incendie !…
De deux fondeurs bordelais consultés, Ampoulange et Charles Deyres, c’est ce dernier qui reçoit la commande d’une cloche de 600 kg de bronze. Le contrat passé le 20 mai 1828 nous précise les conditions d’achat et les moyens de transport de ce type d’objet. Tout passe par le fleuve. Les débris de la cloche sont conduits à Bordeaux par la Garonne, aux frais de la commune, le poids du bronze récupéré étant déduit de l’achat. Le fondeur n’envoie la cloche neuve qu’un mois après avoir reçu le texte des inscriptions. Une fois la fonte de la cloche réussie, la cloche est portée sur les quais, puis embarquée aux frais de la commune, on la transporte sur une charrette tirée par deux bœufs jusqu’au pied de l’église. Le fondeur vient alors depuis Bordeaux pour surveiller et guider la mise en place du clocher.
- Un projet de flèche pour le clocher
L’incendie ayant laissé le clocher étêté, un certain Julien propose en 1839, un couronnement original. Son projet consiste à rehausser l’ensemble existant par une toiture de pierre répartie sur trois niveaux. Un socle rectangulaire de quatre mètres de hauteur est couronné d’un dôme terminé par une bâtisse de pierre, quatre clochetons servent d’amortissement au passage du plan rectangulaire du clocher à l’ellipse du dôme. Pour construire cette œuvre de dix mètres de hauteur il est envisagé la fourniture de 2380 pierres et 86 pieds de fer pour les tirants. Cet ouvrage ne retient pas l’adhésion du Conseil municipal de l’époque.
- La reconstruction de l’Eglise
Après la première tentative de rénovation de l’église en 1843, c’est l’architecte bordelais Charles Durand qui est retenu dix ans plus tard, pour un projet de « reconstruction partielle »(…) Le 13 mars 1954, l’inspection générale des édifices diocésains émet des observations sur ce projet : elle demande d’en reprendre les dessins « pour diminuer la poussée des voûtes, tout en donnant plus d’épaisseur aux murs latéraux ». Elle souhaite aussi « que l’on réduise la hauteur du clocher ». L’architecte obéit avec promptitude, mais la reprise du dossier le pousse bien au-delà des souhaits de la commission parisienne. Au lieu d’un simple projet modificatif, Charles Durand fait un nouveau projet qui porte le titre de « restauration et agrandissement de l’église »(…) Ce nouveau projet daté du 4 septembre 1854 est accepté par l’inspection générale le 21 décembre courant. Il correspond, à quelques détails près, à l’église que nous connaissons aujourd’hui. L’adjudication des travaux a lieu le dimanche 23 septembre 1855 dans la salle de la mairie où elle se termine à 2 heures du matin. Deux entreprises soumissionnent et Broustet, de Saint Pierre d’Aurillac, devient adjudicataire pour une somme de 31816,68 Francs. Les travaux sont financés par 3000 francs de souscription publique, 2000 francs de la fabrique, 6000 francs de secours de l’Etat en trois annuités de 2000 francs chacune, 3964 francs du produit de la vente des vieux matériaux et 19000 francs d’emprunt.
Une dépense supplémentaire est autorisée en 1856, à la demande de Ch. Durand qui propose de construire une tribune au dessus de l’entrée et de reprendre la base de l’ancien clocher « endommagée par le feu du ciel ».
Les travaux sont arrêtés en 1857 en raison des fissurations importantes sur l’ensemble des piles de la nef. L’entreprise condamnée n’est pas autorisée à réparer elle-même. C’est Denis Paquié, tailleur de pierre à Bordeaux, qui exécute en régie entre 1857 et 1858, la difficile reconstruction des piliers sous la surveillance de M.Chêvre et aux frais de l’entreprise Broustet (…) A l’exception des piliers, l’entreprise Broustet continue le reste de stravaux dans un climat détetestable. Le dernier contentieux concerne la reprise de la flèche du clocher, dont la commune et Charles Durand contestent la manque de finition et la solidité de l’ouvrage. Après un contrôle de l’architecte départemental Labbé en 1862, les hommes en présence, visiblement usés par ce conflit permanent, trouvent la solution amiable permettant la fin de cette construction engagée 6 ans auparavant…
Dessins de Léo Drouyn en avril 1959 (in Léo Drouyn et l’Entre Deux Mers Oriental – Editions de l’Entre Deux Mers)
- Vicissitudes d’un clocher
Après l’incendie de la flèche en 1827, sa reconstruction en 1860, un nouveau sinistre touche le clocher dans la nuit du 4 au 5 juin 1887. Une tempête renverse le fleuron sommital de pierre qui tombe sur la toiture, transperce les voûtes et s’écrase sur le carrelage de la nef. L’architecte réolais Fauchez, appelé comme expert, décide la dépose immédiate de la flèche, sur une hauteur de 12 assises, pour « raison de sécurité publique ». Travaux immédiatement exécutés par Lerain et Fils, maçons dans la commune. Le danger de chute écarté, l’homme de l’art propose à la commune une seconde phase de travaux consistant à démonter la partie restante, pierre par pierre et par l’intérieur, au profit d’une charpente à huit pans de faible pente, couverte en zinc.
La fabrique ne pouvant contribuer à une telle dépense et considérant « la dégradation du restant de la flèche », le conseil municipal décide d’adopter le projet de l’architecte « établi dans les conditions les plus économiques » et engage les travaux en 1888 avec l’entrepreneur Jean Rossignol, maçon à Saint Romain. Le clocher retrouve alors, à quelques détails près, sa configuration qu’il avait 30 ans auparavant, c’est-à-dire étêté. Le mal semblait bénin et l’économie retirée dans l’instant s’est avérée bien dispendieuse pour les budgets communaux qui ont suivi.
Après la mise en place de persiennes et d’un nouveau beffroi en 1922, réalisés par Brousse, charpentier à Sauveterre, il faut attendre 1933 pour voir de nouveau un projet de flèche au clocher de Notre Dame. C’est une œuvre conçue par l’architecte Fauchez (fils), de la Réole et réalisé par l’entrepreneur Paul Brousse, qui décède avant la réception des travaux. Cette flèche de conception moderne, toute en béton, sujette à polémique mais conforme à l’art de son époque, ne durera qu’un demi siècle et sera démolie en 1980 pour raison de sécurité.
- Et aujourd’hui ?
L’architecte Faivre terminait son propos de 1999 avec les mots suivants : « Aujourd’hui, le clocher de Notre-Dame de Sauveterre attend patiemment que sa toiture redevienne un sujet d’actualité, pour arborer enfin une silhouette définitive plus en harmonie avec son architecture et le vélum des toits de la Bastide. »
Comme nous l’avions promis lors de notre campagne électorale en 2008, nous allons mettre ce sujet à l’étude. Nous en avons déjà parlé avec l’architecte du CAUE et Monsieur Arnold, architecte des bâtiments de France. La paroisse, l’Association des 4 clochers qui a été créée en 2008 pour s’occuper de la préservation de nos 4 églises et l’Association des Amis de la Bastide seront les partenaires de notre municipalité dans ce projet.
Ce projet s’inscrira dans deux projets plus vastes :
- La restauration de l’église ND et notamment : le drainage au nord du bâtit, la toiture, les peintures des deux chapelles, le carrelage en carreau de Gironde, la tribune, la mise ne place d’un chauffage, le nettoyage des combles et la protection contre l’intrusion des pigeons.
- La restauration de la rue St Léger et de la rue du 8 mai 1945 qui sera l’occasion de revoir l’environnement et le cheminement autour de l’Église.
Infos tirés du blog d’Yves d’Amécourt